PETITES HISTOIRES (II)

les buses

« Comme ils sont enviables ceux qui ne doutent pas ». C’est encore une des formules de Paul. Il plisse les yeux après l’avoir prononcé, sûr de son effet. Mais on ne peut savoir avec lui, il peut être d’une sincérité désarmante, presque enfantine. Et ne sachant pas, on rentre les épaules, on se tait, même si on devine toujours, sous ses yeux comédiens, l’enflure grotesque d’un satané dandysme.
Je ne sais, en réalité, ce qu’il entend par le doute. S’agit-il de Dieu ?
Quand je lui pose la question, il prend encore son sourire entendu, encore certain de la portée déconcertante d’un mystérieux silence. Et quand je me fâche en lui rappelant que l’amitié est exclusive de ces mises en scène, il me répond toujours avec le même sourire par un ou deux mots du même acabit, sur l’être et le paraitre ou sur la beauté de ce qui est sublime. Il m’énerve.
Dans sa belle maison, toute en flèches blanches sur d’immenses panneaux vitrées, à la lisière d’une forêt renommée, Paul a posé sur les murs d’un couloir ses citations préférées. Comme les adolescents des années soixante qui les écrivaient au feutre noir, au grand dam des mères, directement sur le mur au-dessus des lits. Le texte, en grosses lettres noires sur du papier photo, est très joliment encadré, du bois brut. Elles sont incompréhensibles, l’une est en japonais, l’autre en italien. Il sait la puérilité de telles accroches, mais il y tient. Forcément, ses visiteurs posent toujours la question et il répond volontiers, en adaptant la réponse à l’interlocuteur. Il affirme qu’au ton employé dans l’interrogation, à la posture prise, il sait à qui il a affaire. Un vrai flair, dit-il. Essentiel pour survivre et communiquer, décisif pour traquer l’imposteur, le mondain poli ou pour jouir d’une nouvelle complicité, à l’heure d’un apéritif gai et prometteur. Alors, il devient soit très disert, soit cassant et rapide.
La première constitue le titre d’un roman dont il oublie souvent l’auteur :
« Tuttalpiu, muio ». Au pire, je meurs.
La seconde, en japonais est aussi un titre. Ecrit par Philippe Forest, un écrivain qu’il admire : « Sarinagra ». Cependant … Au lendemain de la mort tragique de sa fille, le personnage prononce ce mot. La mort, l’éphémère, la souffrance sont là. Cependant, et pourtant…
Paul a toujours rêvé de définir le monde par un seul mot, il est obsédé par la synthèse et tous le savent, tous lui disent qu’à ce jeu, il évite la difficulté et plonge dans le raccourci infructueux, peut-être le lieu commun. En fait, il attend la remarque pour répondre, en riant, que ce sont les vrais mots : l’Univers est, bien sûr un lieu commun autant qu’un grand raccourci. Il sait que la plaisanterie est lourde et pénible, mais il y tient. Mais peut-être y croit-il ? On ne sait jamais avec lui.
Cette manie de la contraction lui a joué mille tours, a entrainé, aussi de grandes fâcheries, surtout quand, après un long exposé fouillé et érudit
d’un conférencier ou d’un ami, il lâche sa simple phrase pour résumer ce qui s’était exprimé dans mille torsions théoriques. L’intellectuel sérieux, fier de la complexité de son sujet, devient, évidemment furieux et ne retient pas sa colère. Ce qui contrarie Paul qui ne comprend pas ses réactions, lui qui est si sûr de son souci constant du respect indéfectible des autres qu’il affirme écouter avec une attention sans fin.
Aujourd’hui, je suis avec lui dans son jardin, à guetter mélancoliquement les buses. Il se lamente. Il me dit être sorti du discours ramassé dans son incursion, s’être approché d’une vraie complexité mais prétend regretter l’incartade. Il croit, en effet, n’avoir rien retenu. Trop de mots, trop d’interrogations en spirale et au bout que de l’obscur. Il lui faut donc « revenir », m’affirme-t-il.

basculement

Voici le passage du livre épuisé que la secrétaire générale de la maison d’édition lisait dans son petit bureau.

« Imaginons un homme, honnête, d’une quarantaine d’années, exerçant une profession libérale. Il aime la théorie et veut devenir connaisseur de philosophie, dans le but de comprendre les grands systèmes et adopter scientifiquement, de manière raisonnée, l’un d’eux. Pour se fixer, dit-il. L’inflation des pensées l’exaspère et il a l’intuition de l’imposture des mots. Il croit aussi savoir l’absurde des modes et des stratégies d’édition et sourit à chaque lancement d’un auteur lors des rentrées automnales.

Cet homme n’est pas inintelligent. Il sait vaguement l’importance des penseurs grecs, il a lu Marx, par commentateurs interposés, à une époque de son engagement exclusivement théorique, il a tenté à de nombreuses reprises, tout au long de sa vie, de comprendre l’apport de Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Nietsche, Heidegger. Il se croit matérialiste et structuraliste. Il a choisi, lui semble t-il, son camp : il ne croit pas au sujet libre et agissant.

Il hait les traités du bonheur périodiquement publiés par les philosophes hâbleurs qui font de la conduite de vie philosophe à l’usage de cadres stressés un fonds de commerce lucratif.

Il déteste la discussion, (les opinions étant ridicules) et s’énerve de la mode des cafés où elle s’exerce.

Il se dit dans la nature nécessaire et fermée et a du mal à se faire comprendre dans les rares confrontations dans des dîners en ville de plus en plus espacés. Il a, du reste, abandonné le dialogue et se contente de donner de lui l’image d’un déridé jovial et sans soucis.

Dans cette tentative de fixation salutaire, d’un ancrage dont il sent qu’il devient indispensable à ce moment de sa vie, il s’est, à nouveau, procuré de nombreux ouvrages de vulgarisation au rayon spécialisé d’une grande librairie.

Cet été, dans sa maison du Périgord, entre deux cris d’enfants, sous un catalpa et sur une table en teck il a, méthodiquement souligné, surligné, pris des notes.

Il se sent, pour la première fois perdu et ne comprend plus. Pour la première fois, dans ses lectures philosophiques (de seconde main), il s’ennuie et commence à s’interroger sur l’inutilité des grandes théories mal écrites et, en tous cas, incompréhensibles.

Après un millier d’heures de lecture et une quinzaine de livres hargneusement jetés sur l’herbe mouillée (et que le chien dévore), il réfléchit, tout en se disant qu’émettre une opinion, une pensée, ne peut être que futile, éphémère et tout aussi inutile.

Il en arrive à cette conclusion : les grands systèmes philosophiques sont nécessairement datés. Traitant de l’homme dans l’univers, elles ont été produites à des époques où la terre, plate, laissait harmonieusement le soleil tourner autour d’elle. Ou, lorqu’elle sont plus récentes, dans des moments ou la science en était, comme elle l’est d’ailleurs encore, à ses balbutiements.

En outre, les concepts élaborés par ces grands penseurs assénés aux étudiants de terminale, pour la plupart férus de jeux vidéo, ne veulent rien dire dans un monde dominé par les valeurs de la consommation.

Il se dit (il faut ici abréger) que la consommation de théorie est du même type et décide d’abandonner, pour la vie, de telles lectures. Pour venir à autre chose. Il est, en effet persuadé qu’il ne peut s’abandonner dans ce désolement dont il sent, au surplus, intuitivement, qu’il constitue une pensée philosophique.

Il décide de passer à la lecture de romans contemporains, en étant persuadé qu’il a sûrement raté, par son rejet du sujet, les vrais nœuds de la vie, qui se trouvent peut-être dans les affres de l’individu. Les auteurs du jour donnent sûrement à voir et à penser dans le futile, l’instantané, l’évanescent, seuls remparts contre la folie et la dépression. Il n’est pas convaincu et reste dans le vide de sa recherche (pour des raisons qu’il serait trop long ici d’expliquer).

Il décide une chose insensée : il va prendre un dictionnaire, fermer les yeux, écarter les pages, pointer un doigt, toujours les yeux fermés, sur un mot. Et s’en tenir, pour la vie. S’en tenir en l’approfondissant, en faire l’unique objet de ses préoccupations futures, quoiqu’il arrive.

Le doigt est tombé pile sur un mot : Disparition.

Il prend un cahier d’écolier et sur la première page écrit : Disparition, disparitions.

Sa vie a basculé.

rue de Longville

Le quartier, autour de la rue de Longville est stupéfiant. S’y mêlent, sans
contact, les communautés noires et juives.
Les noirs habitent dans les HLM de la ville de Paris, les juifs dans les résidences de meilleur aloi, même si elles ne sont pas luxueuses. On relève néanmoins une volonté de donner le change par l’installation dans les halls d’un faux aquarium où trônent des poissons en papier, désormais un peu jauni.
La rue est d’une part occupée par les jeunes bandes des immigrés noirs qui passent beaucoup d’heures appuyés sur le grillage d’un minuscule terrain de basket qui longe la rue de l’Ours, d’ailleurs en pleine déconstruction et rénovation. Les façades en voie de démolition et les palissades de chantier sont tagués, bariolés, coloriés à outrance. Sur les tags et les peintures de style africain naïf, d’innombrables affiches et autocollants qui vantent les exploits d’un marabout faiseur de miracles ou le futur concert du dernier rappeur franco-caribéen finissent de donner à la rue un air qui balance entre Harlem et Brazzaville.
Les juifs du quartier sont, pour la plupart, des orthodoxes, souvent barbus, portant quelquefois le caftan d’où dépassent les franges du petit « talith » et des chapeaux à larges bords laissant entrevoir leurs papillotes. En tous cas beaucoup de calottes et de kippas.
Quelques-uns portent une casquette de marque, avec logo sur la visière, peut-être par peur de l’agression. Ils passent rapidement devant le terrain de basket, les yeux un peu baissés, dans l’indifférence la plus totale des jeunes afro-français.
Dans ce quartier, les synagogues sont nombreuses, vraiment nombreuses, à la mesure des obédiences, des origines géographiques, des multiples rites.
Synagogues marocaine, tunisienne, djerbienne, algérienne et « loubavitch ».Toutes à l’entrée discrète et quelconque. Et, quelquefois, devant la porte, une voiture de police.
C’est ici que le judaïsme se reproduit m’a dit Nathan, lorsque, encore surpris par la multitude des juifs dans le quartier, je lui ai posé la uestion de savoir le motif pour lequel des séfarades se déguisaient en juifs des villages de l’Europe de l’Est, emmitouflés de noir.

  • Caftan, chapeau et papillotes. Rien à voir avec nos grands-pères !
  • Peut-être, mais, pour notre prospérité, cela vaut mieux que la chemise Lacoste tachée par la graisse d’un porc méchamment englouti !

Je n’ai pas répondu.
C’était le jour de l’enterrement de mon père et je n’avais qu’une hâte : revenir dans mon jardin et écrire une « lettre aux séfarades », où il serait question de tradition, de culture et d’hommage à nos ancêtres qui n’auraient pu supporter, s’ils avaient été là, cette insulte à des siècles lumineux de séfaradisme, nécessairement ancré dans l’Orient, la musique, l’enluminure et le soleil. Tout sauf la noirceur et la triste fourrure.
Je n’y connaissais peut-être pas grand-chose au judaïsme populaire mais mes lectures, celles de Malinowski, Descola, Walter Benjamin et plein d’autres encore, allaient m’aider dans ce que je considérais être une contribution décisive à l’histoire des marques juives, pour parler comme mon amie sociologue!
J’ai pesté encore contre la bêtise de ces travestis, leur ignorance des siècles, jusqu’au moment où la femme, qui prenait un verre avec moi, m’a demandé, avec le sourire qu’elle arborait depuis le matin et qui commençait à vraiment m’énerver, que je ferais mieux de m’interroger sur ce que « j’avais fait de mon séfaradisme » ou quelque chose d’approchant. Elle m’énervait vraiment et je n’ai, là encore, pas répondu.
Elle m’a appelé, le soir, même, en riant au téléphone, pour me dire que j’étais “embringué”.
J’ai desserré le nœud de ma cravate. Il faisait très chaud.
C’était un jour avant les autres.

tablée

Autour de la table, une douzaine d’invités. C’est Jean et sa femme qui reçoivent dans leur grand appartement de la rue de Laplanche, dans le septième arrondissement. Murs blancs et Art contemporain. Fauteuils design et bois clair. Nourriture de la Grande Epicerie de la rue du Bac.
La femme de Jean a choisi un repas indien, tikka de volaille. Sans le jambon espagnol qu’elle se faisait un plaisir, autrefois de faire goûter à Paul, et alimenter la conversation sur les meilleures marques du cuisseau de ce désormais funeste animal. Et pour Louis, elle a fait livrer un repas cacher par un traiteur, connu pour ses prix délirants, de la Place Victor Hugo. Paul, lui, accepte de tout manger sauf la fameuse charcuterie de porc. Un an, le temps du deuil.
La femme de Jean ne cuisine jamais. Elle achète. Plats de traiteur et victuailles de choix. Elle le clame d’ailleurs, en ajoutant, ce qui met Paul dans un bonheur sans bornes, que la richesse, celle dont ils jouissent désormais, sans l’avoir volée, ne sert qu’à ça. Jouir sans faire de mal à personne. Bien sûr, Jean, le meilleur ami de Paul n’apprécie guère ces déclarations de son épouse qu’il juge intempestives et inopportunes, surtout lorsqu’il reçoit ses amis qui sont tous de gauche et qui peuvent confondre jouissance sincère et provocation inacceptable de nouveaux
nantis qui, normalement, ont basculé à droite.
Et quand Paul applaudit à ces inepties, en les considérant comme idoines, un mot qu’il emploie trop souvent, Jean lui demande fermement de se taire immédiatement. Seul Jean peut se permettre ce ton avec Paul, lequel, curieusement, obéit, sans accompagner son silence de ses sempiternelles plaisanteries idiotes dont il connait parfaitement leur don d’énervement collectif. Il faut dire qu’ils se connaissent depuis toujours, comme Jean le rappelle avec fierté, en ne se lassant jamais de raconter l’histoire de l’instituteur Truchy et du taciturne insolent.
On en est presque au dessert. Les magnifiques fromages, bien entamés, sont encore sur la table.
Gilles Pierrefons, un ancien producteur de séries télévisuelles, prend la parole. Il est, bien sûr, de gauche. Il fait allusion à un article, on ne sait plus lequel, lu ce matin dans un quotidien. Anna sursaute, tout en faisant mine de couper ce qu’il reste de fromage. Elle n’a pas tort de s’inquiéter.
Paul bondit, même s’il dit, très posément, en regardant fixement et très sérieusement Gilles :

  • Tu lis encore ce torchon ?
    Pierrefons est certain qu’il s’agit d’une nouvelle plaisanterie et croit devoir partir d’un grand éclat de rire. Il ne peut imaginer qu’on puisse traiter de la sorte une institution médiatique, incontournable depuis sa création en soixante-huit, sous l’égide de Jean-Paul Sartre, un journal qui a certes abandonné depuis longtemps sa ligne maoïste, mais qui constitue la référence pour les lecteurs de gauche et altermondialistes, même s’il salit leurs mains, tant le papier et l’encre sont de mauvaise qualité. Jean fait les gros yeux à Paul et esquisse de la main un geste
    typiquement judéo-tunisien pour intimer l’ordre à Paul de se taire et de ne pas continuer. Mais il connait Paul depuis toujours et il sait la suite.
    Paul, toujours aussi calme, lui dit :
  • Inutile de me sommer de me taire, Jean. Je dirai ce que j’ai à dire.
    C’est ici que Louis Beauregard intervient pour dire :
  • j’ai rarement vu des jambes aussi longues que celles des danseuses du Paradis Latin. Interminables. Des kilomètres de plaisir pour les yeux.
    Tous se tournent vers lui, un peu surpris et sourient. Ils connaissent bien sûr les écrits et la réputation de Louis. Certes pas un moine bénédictin,
    mais quand même un grand spécialiste d’une religion, récemment converti et forcément plus dans l’immatériel théologique que dans la chair lisse et sensuelle des filles de cabaret à spectacle.
    Evidemment, tous savent qu’il s’agit de faire diversion et empêcher Paul d’aborder la question palestinienne.
    Paul se lève. Ils ont tous peur d’un départ furieux, une porte qui claque et une promesse hurlée de ne plus rencontrer d’infâmes traitres à l’universel et à la justice, à l’éthique.
    Mais non, Paul va jusqu’à Louis, le prend par les épaules et l’embrasse. Puis, il va se plante devant Pierrefons et lui dit que son amitié est un trésor.
    C’est comme ça, on ne sait jamais avec Paul. C’est un violent et c’est un sage. Sans l’intellect, les hommes en viennent obligatoirement aux mains ou aux canons, ou à la bêtise, ce qui revient au même. C’est ce qu’a proclamé un jour Clara, une des rares fois où elle a pris part à une discussion, pour défendre Paul, comme elle le fait toujours, sous les yeux sombres et interrogateurs d’Anna.
    La discussion s’est désormais installée dans la littérature, neutre comme on le sait. Et même Paul y participe, vantant le génie de Ian Mac Ewan, de son Samedi, un chef-d’oeuvre, de son Solaire, une perle.
    Ils savent, tous, que ce n’est que partie remise.

montée

Me planter dans l’ambivalence, l’accepter et la tordre. Sans parler, sans en parler, sans le bouillonnement grotesque et dérisoire du commerce avec soi-même, sans ce souci de soi du Foucault de la dernière heure. Rien ne peut être mien.
C’est le matin et c’est le printemps.
Dehors, le soleil est là. Le jour est étincelant, caniculaire, dégageant cette odeur âpre des vieilles tuiles gorgées de chaleur. C’est mon premier Samedi, depuis des mois, loin de la rue de Longville. Céline qui ne répond pas au téléphone ce jour de Shabbat va peut-être s’inquiéter de mon absence. J’inventerai une histoire ce soir, en lui proposant de congeler l’abondante nourriture qu’elle nous prépare le jour du déjeuner sacré.
Rester ici. Dehors, la buse est dans le ciel, comme pour me narguer, majestueuse, olympienne, presque immobile, les ailes raidies. J’imagine qu’elle ne fixe que moi.
La voilà qui disparait, me laissant seul, sans une vie à fixer dans ce bleu trop simple d’un ciel placide, dans l’illusion d’une pensée décisive à venir, au-delà des arbres désormais feuillus qui encerclent la maison.
Je chasse l’intolérable tristesse et me rends dans la chambre. La chemise blanche, lacérée et roulée en boule, est rangée dans un coin du dernier tiroir de la commode. Je pose la main sur la poignée. Les pleurs meurent dans ma gorge. Mille anges sous sa peau pâle et ses traques du monde dans ses yeux clairs. Je l’aimais.
Je prends mon IPhone et j’appelle Jean. Il ne répond pas. Il doit dormir et il n’allume son téléphone que lorsqu’il attend un appel. Curieuse manière de communiquer ! Quand je lui en ai fait la remarque, il me répond qu’il a toujours peur des mauvaises nouvelles. Il doit se moquer de moi.
La mort du père. Trop facile, cette explication de mes nouvelles incursions. Ça ne veut rien dire. Anna affirme qu’il me fallait effacer, gommer des idées, les mots, des postures philosophiques en suspens, des décennies de lectures dont l’on ne retient pas grand-chose, un brouillard de pensée, non ordonnée, désormais des clichés, et revenir à la simplicité. Cette mort serait donc le prétexte d’un déplacement annoncé.
J’ai donc d’abord tenté de faire le vide.
J’ai été ébloui, alors qu’il n’est qu’un lieu commun, mais qui est dit ailleurs, par un texte du rabbin Nahman de Braslav qui confortait les intuitions d’Anna des nécessaires effacements.
Le maître, commentant la nécessité radicale de l’innovation conceptuelle affirme que les sages sont dans l’incapacité d’innover car ils sont trop savants, leur savoir immense les troublent, les enferment. Leur connaissance sur le sujet abordé embrouille leur propre parole et ils ne peuvent avoir aucune idée nouvelle qui soit intéressante. Seule la restriction de son savoir est de nature à le mener vers l’innovation. Il doit donc faire le « tsimtsoum », la « contraction » de son esprit, comme s’il ne savait rien et n’avait rien lu. Le vide donc.
Par ailleurs, je règle le conflit philosophique avec le sujet en tentant d’inclure désormais dans un nouveau corpus la lourde responsabilité des hommes qu’instaure le judaïsme dans l’histoire, comptables de leurs actions dans la fabrication du monde ou sa réparation selon Louria, le maître de Clara, à l’époque des resto U.
Nathan, lui, nous dit tu fais, tu comprends après ou tu ne comprends jamais, mais tu fais. Là, c’est simple. Peut-être trop.
Je fais. A vrai dire, pas grand-chose. La prière du Vendredi, sous les yeux des enfants qui tentent de garder leur sérieux, la synagogue le Samedi et le repas chez la sœur, l’exclusion brutale des jambons et, de temps à autre, le refus d’un fromage interdit après la viande. Rien d’autre.
Et puis les livres qui compliquent tout.
Amazon, dont l’on connait le redoutable fichage et les recommandations automatiques, m’envoie désormais des e-mails pour m’inciter à acheter plein de bouquins dont le titre devrait m’intéresser. Mes lectures sont dans la mémoire du serveur central. Judaïsme, juif, torah, Zohar, Kabbale et tous les autres. Livraison gratuite et compte Premium, un seul clic pour acquérir. Je clique compulsivement.
Elle, elle me taquine sur la disparition de Spinoza et je lis, de manière désordonnée et souvent sans profit. Trop de livres. Il faudrait s’en tenir à un seul, mais je ne peux m’y contraindre. J’ai l’impression de créer un nouveau brouillard. Une virée trop théorique, au-dessus de la mêlée, certainement élitiste, peut-être insincère et factice. Mais c’est la seule approche possible puisque je n’ai pas la foi, du moins celle, granitique, de mes voisins de chaise à la synagogue.
J’arrive donc le Samedi au temple de la rue de Longville. J’ai déjà ma kippa sur le crâne. Je l’ai mise dans la rue, à cent mètres du lieu de prière et ne détonne pas sur le trottoir, derrière ceux qui la portent comme moi et se rendent d’un pas rapide et serein à la synagogue. J’ai droit quelquefois à un « shabbat Chalom !».
Devant la porte, des enfants en noir qui rient, comme dans les livres de Chaïm Potok, l’un des écrivains que depuis peu je lis abondamment.
Je monte les escaliers, pose mon imperméable sur des milliers de vêtements qui s’agglutinent sur une seule patère. Je sais que je vais le retrouver en boule, foulé par des milliers de pieds. Mais dans les synagogues, comme dans les casinos, on est ailleurs, hors des contingences matérielles, et j’accepte le piétinement. Peut-on imaginer un pratiquant, surtout un nouveau, pester, juste après un dernier kaddish les pieds joints, contre le nombre réduit des crochets dans le couloir du temple et la désintégration inacceptable de son vêtement de grande marque ?
Je tente, non sans mal, dans le couloir, avant d’entrer dans la salle, de poser mon châle de prière sur mes épaules, par un geste ample que je ne maîtrise toujours pas, en veillant à ne pas frapper d’un coup de coude intempestif le malheureux qui passerait par là. Je bredouille la prière adéquate que je connais à peine, juste pour éviter l’étonnement d’un égaré devant des lèvres fermées dans ce moment crucial du passage sous l’étoffe.
Je ne sais pas poser mon talith à la manière des jeunes pratiquants. Mon châle, offert par ma sœur, est certainement trop grand et il tombe sur mes bras, sans élégance. Les pans devraient pourtant tomber gracieusement sur mon dos. Il faudra que je m’entraine devant un miroir.
Je rentre dans la salle. Nathan et ses amis sont là et me font des signes très amicaux. Ils sourient toujours quand ils me voient entrer. Je m’assieds à la gauche de Nathan qui m’embrasse, se baisse, prend le sac en plastique à ses pieds, en sort mes deux livres, en transcription phonétique, le « Patah Eliyahou », couverture verte, et le Pentateuque, couverture marron bois. Je cherche la paracha du jour et corne la page. On échange quelques mots sur la semaine passée, la santé et les promotions sur des vols pour Tel-Aviv, juste avant les mises à prix. Prières, ouverture des portes du tabernacle et sortie de la Torah sont, en effet, mis aux enchères.
A côté de moi, le comptable des dons. Il a, posé sur ses genoux un gros classeur. C’est Shabbat, il ne peut écrire les promesses et use donc d’un stratagème. Dans une petite boite, il a rangé des trombones, de toutes les couleurs, et par un code que lui seul maitrise, il les place sur des cases qui doivent correspondre au montant annoncé par le dernier enchérisseur. Je ne peux être plus précis. J’ai tenté de comprendre en scrutant, d’un œil discret le classeur mais n’ose pas lui demander de m’expliquer le système, certainement sans failles. Je ne sais s’il l’a inventé ou s’il est en vigueur dans toutes les synagogues. Je n’en connais pas d’autres. Mon nom est désormais inscrit sur un feuillet rempli de petites cases sur lesquelles les trombones pourront se poser.
Je crois être généreux et enchéris toujours mais me tais quand Nathan me fait comprendre qu’il faut laisser une enchère à l’un des membres qui la mérite, et qui n’est pas très fortuné. Le priseur, très élégant dans un talith de soie, sait ce qu’il a à faire et il est imbattable pour faire monter les prix ou être sourd à une dernière annonce.
Quand je remporte l’enchère, il la clame en me nommant, de mon nom hébraïque, fils de mon père qu’il nomme aussi. Il le connait désormais et n’a plus à me le demander.
Puis la Torah est sortie. Le chantre, les sourcils froncés, s’approche des rouleaux, ajuste sa cravate, indifférent à l’assemblée. Sa figure ne s’éclaire pas. Il redresse mécaniquement un pan de son châle. Sa tête est maintenant penchée et ses yeux presque clos. Il commence à lire, à chanter et chacun suit, son livre à la main.
Moi aussi je tente de suivre, mais n’y arrive pas toujours, abandonne le texte pour écouter le chant, m’y remet rapidement, persuadé de tous les regards sur moi, presque honteux de moi-même, de l’ostensible effort. Le rite, ici, est judéo-tunisien et ma mémoire vogue dans l’enfance, dans la voix trop forte du père.
Je lève les yeux et scrute l’assemblée en tentant de ne pas me faire remarquer. Maintenant, tous discutent bruyamment et ne lorgnent personne.
Je vais bientôt monter à la Torah et me prépare. Une épreuve qui ne me laisse aucun repos. J’ai le cœur qui tremble, dans l’indécise crainte de ce qui va venir, la maladroite lecture, mon nom clamé avant celui du père et l’accolade donnée au rabbin, après l’annonce de mon don à la communauté. Je m’imagine le visage morne et figé, grotesque et risible.
Je cherche Céline derrière le voile qui sépare les femmes. Je la vois et suis rassuré, elle ne me regarde pas, toute à son livre qu’elle tient très haut.
C’est mon tour. Nathan, d’un coup de coude en pleine poitrine, me le signifie.
Je me lève vivement, furieux de constater que mon châle traine encore vilainement sur mes épaules, furieux aussi de penser, dans ce moment d’inébranlable gravité, à Nietzsche, au Grand style et à l’élégance, puis à l’effroi d’une tortue qui se retire sous sa carapace.
Il me faudra du temps pour m’éloigner de ces forces tyranniques.

Chinchon

Chinchon, 50 km de Madrid, suite
– La pluie d’hier a tout lavé, le ciel et la terre, les hommes, et peut-être même l’infini. On ne l’a jamais vu aussi hargneuse ici, de mémoire de chinchonien.-
C’est par ces mots qu’elle nous a accueillis au Parador de Chinchon.
Elle était assise à une table, au milieu du patio et sirotait un fino. Elle s’était levée en nous apercevant et son verre à la main, après avoir prononcé ses mots sur l’infini, les bras curieusement croisés, collés sur sa poitrine, se présenta à Clara :
– Elisa Martin Ortega.-
Puis avant que nous ne répondions, sans même me regarder, elle continua avec son délicieux accent imperceptible :
– Clara, je suis ravie, absolument ravie de vous rencontrer. Paul m’a tellement parlé de vous.-
Clara ne disait rien.
Elisa lui proposa un fino, toujours sans me regarder, en lui demandant si elle connaissait ce vin de Xérès blanc, oxydé, avec un léger goût salé que les anglais nomment abominablement sherry. Il faut le boire sec Clara, « muy secco », avait-elle marmonné.
C’est moi qui ai pris la parole :
– Voilà, c’est donc Elisa, mon ange.-
Clara ne souriait toujours pas, visage indéchiffrable.
Elisa croisa les jambes. Sa peau dorée, lisse, mate et en même temps transparente m’a toujours fascinée. Elle est légère, soyeuse, comme une longue étole. Elle regarda Clara droit dans les yeux et fermement dit :
– Clara, sachez que lorsque cet imbécile me présente comme son ange, il n’a pas tort tant il est incapable de se mouvoir, de vivre, d’exister sans nous tous, femmes, hommes, fils, filles, parents, amis, ennemis même qui le soutiennent. Sans nous, il s’affale, panique, hurle à la mort, ce faux solitaire, cet imposteur des mots. Nous sommes, en effet, ses anges. Sachez aussi qu’entre nous deux, même s’il ne cesse d’hurler qu’il adore ma peau, il ne s’est jamais rien passé. Nous sommes frère et sœur, comme personne ne peut l’imaginer. Je suis son ange, il est mon frère.-
Clara, dressa sa tête, peut-être un peu inquiète, et se décidât à parler :
– Alors, comme ça, vous travaillez sur Louria ? Paul m’a fait venir jusqu’ici pour vous rencontrer. Il allait à Chinchon rendre visite à son ange…
Elisa s’approcha et prit la main de Clara :-
– Incroyable les hasards ! Paul m’appelle, me dit qu’il est amoureux d’une fille évidemment belle comme le jour, ajoute qu’elle travaille sur un de mes compatriotes un peu juif ayant sévi il y fort longtemps dans le Nord du pays, un certain Louria, inventeur de vases brisées, d’étincelles divines, de restauration du monde et me somme de donner mon avis sur ce « mysticisme hallucinant ». J’éclate de rire. Je lui dis que je viens d’écrire un article dans une revue d’études juives sur « La fracture : amour et réparation. Pensée kabbalistique et poésie hispanique », où il est justement question de Louria, entre Borges, Jonas, Scholem et des poètes espagnols dont je ne vais vous infliger les noms imprononçables. Il croit que je rigole, ajoute que je suis spécialiste de Pierre Bourdieu que j’ai fait traduire en Espagne, bien loin de la Kabbale et des sephirot et même de la poésie qu’il réserve, comme le savez sûrement, aux adolescents boutonneux ! Et c’est là que je lui propose de venir avec vous à Chinchon, le plus beau village du cosmos, n’est-ce pas ? Il m’a dit qu’il a fallu mille stratagèmes pour vous faire venir, et même l’aide de Louis.-
Clara commençait enfin à sourire. Puis elle dit :
– Madame, Oui, je travaille sur Louria. J’ai, évidemment, lu votre article. Je ne savais pas que vous étiez une amie de Paul. Votre texte est assez intéressant même si, comme beaucoup, comme ceux qui ne voient le monde que dans le mot qui le crée, comme tous ceux qui concentrent tout dans le langage créateur, idée grandiose qui plait aux poètes et autres déclamateurs, vous restez sur les mots, sans entrevoir les actions. Pourtant, lorsque vous écrivez, je crois bien me souvenir de votre texte, que c’est à l’homme qu’incombe la responsabilité de cette étape de la réparation, de la restauration, comme vous voudrez, que l’homme devient responsable de l’histoire du monde, vous vous en tenez à la théorie et au monde, souvent creux, en oubliant ce que le concept de « réparation » englobe nécessairement celle des hommes eux-mêmes, ceux qui ont besoin d’être réparés, ceux en miettes après une souffrance géante.-
Elisa ne disait rien. Clara continua :
– Oui, Elisa, oui. Réparer les hommes qui en ont besoin. Comprenez-vous ?-
Elisa répondit enfin :
– Qu’est-ce à dire ? Les rendre bons ? Leur donner la foi ? Leur apprendre Dieu ? Je ne comprends pas. La réparation du monde englobe évidemment les hommes, les humains. Mais elle ne peut se limiter à la compassion.-
– Non, non, réparer la douleur, celle qui se tapit dans nos ventres, celle qui nous fait appeler nos mères, nos pères depuis longtemps décédés, celle qui nous fait hurler de douleur, celle de l’immense chagrin. Devant lui, les hommes sont seuls, désemparés, désespérés. Leur intelligence s’en va, les pleurs rentrés jusqu’au dernier cri, ils ne peuvent rien faire. Il nous faut donc les réparer, leur redonner leurs facultés de rire et de bonheur, pour faire court.-
Clara avait parlé la voix haletante, comme des sanglots.
C’est à ce moment que je prends la parole.
– Ah bon, Louria, c’est un peu « les malheureux anonymes ». On aide, on les aide ces hommes dans le grand chagrin ? Pas besoin de kabbalistes pour ça !-
Clara se leva et dit, en me regardant, très sereine, presque triomphante, sans aucune bienveillance :
– Toi, tu restes ici et tu te commandes tous les xérès du monde si tu veux. Venez, Elisa, je vous emmène dans les jardins que je ne connais pas. On doit parler.
Et elles m’ont laissé là.-
J’étais un peu vexé. Je suis resté des heures à les attendre. Je ne sais ce qu’elles ont pu se dire. Décidément, les réparations rendent bavards.
Je suis rentré à l’hôtel, en grognant.
La discussion avec Elisa a du être longue puisqu’en effet Clara ne m’a rejoint que très tard. Notre nuit de rupture, notre affreuse séparation.

Anne-Laure

A la radio, dans une succession de mots ordonnés très gravement, il est question de « Kierkegaard et la femme ». Le commentateur analysait le personnage du récit du philosophe (« Journal d’un séducteur ») et citait un propos de ce Johannes, le héros : « la femme est…une création du cerveau de l’homme, le songe d’un jour, une chose qu’on imagine ». Julien change de station. De la musique de jazz. Il pense encore à Anne-Laure et se demande ce qu’il ferait sans elle. Malgré le flot de voitures qui l’empêchent d’avancer, il est franchement enthousiaste, comme souvent à cette heure-ci. Les enfants sont endormis et il va pouvoir passer une soirée comme il les adore, manger dans la cuisine, Anne-Laure devant lui, passage dans le salon pour fumer, musique, discussions et enlacements sur le canapé avant de rejoindre le grand lit et s’enfoncer tous les deux sous la lourde couette bleue. Et pourquoi pas un armagnac, ce soir ? Il se dit qu’il refuserait la tisane qu’Anne-Laure lui inflige avant de se mettre au lit.
Une pluie fine se met à tomber. Le téléphone sonne. Un homme. Il cherche manifestement à maquiller sa voix. Il parle d’une voix volontairement nasillarde, comme dans un dessin animé. Une voix de canard :
– Alors, vous êtes le mari d’Anne ?-
Et il raccroche.
Julien éteint la radio. Il se trouve maintenant au coin du Boulevard de Courcelles. Il oublie de tourner à gauche et se traite de tous les noms. Bien sûr, cet appel téléphonique l’a énervé. Il se jure de ne pas poser la question à Anne-Laure, de rester placide, de ne pas briser la soirée. Il arrive devant la porte du parking et entre dans l’immeuble. Il demeure assis de longs moments dans la voiture, feux éteints, à réfléchir. Non, il ne va pas mettre son épouse dans cette histoire. Celui qui le harcèle se délecterait de cette situation, c’est évident. Il n’en a rien à faire de ces appels, du passé d’Anne-Laure, de ses anciens amants. C’est certain, c’est un ancien amant, celui qui l’appele, désormais tous les deux jours. Les vies passées sont d’un autre temps se dit-il. Il rit intérieurement de cette réflexion qu’il met sur le compte de la fatigue laquelle, comme on le sait, provoque les lapalissades et pense à un mot : « redondance ». L’un de ses collaborateurs l’a appris récemment et le case à tout bout de champ. Il se calme. Il prend l’ascenseur et ouvre la porte de l’appartement. Il essaie de ne pas faire trop de bruit, pour ne pas réveiller les enfants. Il est décidé. Il ne parlera pas à épouse de ce coup de téléphone. Il faut quelquefois savoir se taire. Anne-Laure vient à sa rencontre. Il ne l’embrasse pas, elle est surprise. Il se dit qu’il est un nigaud. Mais il ne peut s’empêcher, malgré ce qu’il s’est promis, de prendre l’attitude ridicule de l’homme bouleversé, de l’homme qu’un événement contrarie et qui doit le montrer à la terre entière. Comme s’il avait besoin des interrogations angoissées de sa femme, comme s’il devait absolument transformer des événements anodins en mini-drames, les mettre en scène. Il est lui-même honteux de ce comportement. Il était un sage il y a quelques minutes se dit-il. Mais il ne peut s’en empêcher. Les enfants gâtés ne peuvent décidément rien cacher. Ils se croient le personnage central de la dramaturgie qu’ils produisent. C’est exactement ce qu’il se dit. Julien, malgré ses immenses défauts en a conscience et il amortit toujours les chocs. Anne-Laure lui demande ce qui ne va pas. Il ne répond pas. Il se dirige vers la cuisine, se sert un verre de vin, et reste silencieux.
Anne-Laure porte ses mains à sa poitrine. Elle regarde dehors. Une lumière s’éteint dans une chambre de bonne. Elle s’assied devant Jean qui a baissé les yeux sur la table.
Elle dit :
– il t’a appelé. Il m’a aussi appelé. Je ne sais qui il est.-
Anne-Laure se love dans le canapé et chantonne doucement, dans un murmure languissant. Jean est surpris. Ce n’est pas son habitude. Il s’approche d’elle et, sur le rebord du canapé lui caresse les cheveux. Elle se dégage, pas violemment.
Puis elle se lève, va s’accouder sur le rebord de la cheminée et dit :
– Je vais te raconter. Je dois te raconter. Assieds-toi. Je vais te raconter. J’ai été mille fois sur le point de te raconter. Je vais tout te dire. Et tu ne m’interromps pas. Tu as épousé une folle, de la pire espèce. La vraie folie. Mais, ne t’affole pas, je crois être guérie. Ne reste que ce j’ai voulu. La mort des êtres venimeux est une aubaine pour celles qui se sont collées à une glu immonde. -
Julien ne comprend rien. Il se tait, regarde sa femme.
Elle raconta, debout, très longtemps, sans s’arrêter, sans pleurer, d’une voix ponctuée, claire, infaillible.
C’était il y a longtemps. Elle était étudiante à l’école du Louvre. Section Histoire de la peinture italienne. Elle avait rêvé de ces études toute son enfance. La peinture, sa passion.
Elle partageait avec une amie l’appartement qu’elle avait reçu en héritage, Quai de Bourbon et n’avait pas besoin de gagner sa vie. Elle passait son temps libre dans les musées, les conférences, les expositions. Elle riait toujours et ses camarades étaient un peu jaloux de cet entrain, de cette joie inextinguible, de cette richesse des moments. Elle avait donc tout pour elle. Mais Anne-Laure, comme tous ceux qui adorent la vie s’est laissée posséder par la figure diabolique, le pendant, la face hideuse que l’on traîne toujours dans une partie de soi, comme on voudra. C’est ce qu’elle dit à Jean, lequel, assis dans son fauteuil, son verre d’armagnac à la main, ne comprend toujours pas.
Elle s’arrête, s’empare du verre de Jean, en boit une gorgée et continue :
– J’étais à cette époque passionné par un peintre : Simone Martini. J’allais dans tous les musées où ses œuvres étaient exposées. Et j’étais fasciné par l’un de ses tableaux qu’il est inutile de décrire, sauf pour aller à l’essentiel. Je restais souvent plantée devant lui, sans que je ne sache pourquoi. C’était mon préféré. Un jour, je remarquai dans ce tableau un personnage parmi d’autres, en bas, à droite, peint avec minutie. Il était d’une laideur criante. Des yeux gris, comme des petites billes d’acier, minuscules, très rapprochés, un visage anguleux, un menton en pointe, comme un diable, un front très bas, une peau vérolée. Une expression de méchanceté infâme, un sourire acrimonieux, comme s’il jouissait de la vision qu’il donnait du monde. L’abjection faite homme. Je m’intéressais d’abord à sa place dans la toile, rien de plus. C’est le tableau dans son ensemble qui me fascinait. Je suis allée presque tous les jours au musée et demeurais des heures devant la toile, sans comprendre moi-même ce qui commençait à devenir une obsession. Mes amis ont commencé à s’inquiéter de cette nécessité. Je les laissais à leurs discussions enflammées et je courais au musée. Je restais donc immobile devant le tableau. Un jour je me suis rendue compte que je ne fixais en fait que le personnage à la grande laideur et au rictus amer. Et ça a commencé. Dans mes cauchemars, la nuit, il revenait sans cesse. Des milliers de têtes horribles qui se cognaient, des sourires qui se transformaient en grands éclats de rires diaboliques. Je n’ai pas pris garde au début à cette obsession. Mais, petit à petit, je me suis sentie radicalement envoûtée. J’ai voulu m’en défaire et suis allée dans toutes les expositions pour voir autre chose. Impossible. Je revenais constamment au tableau et au visage hideux. Une maladie m’était donc tombée dessus, une colle infâme, de la vérole dans mon cerveau. Je ne parlais à personne de ce bouleversement et mis cette obnubilation sur le compte d’une grande fatigue que le temps et beaucoup d’amants allaient effacer. Mais ça ne passait pas. J’aurais dû aller voir un psychiatre mais je ne les aime pas et considère, comme tu le sais, le freudisme comme une imposture. Je me mis au travail, ardemment, pour tenter d’oublier cette figure obscène. C’est à cette époque que je me suis lancée dans de frénétiques études de l’art contemporain, comme si l’abstraction, sans visage, que de la couleur, pouvait me guérir. Rien n’y fit et j’allai tous les jours au musée me prosterner devant l’immonde. J’avais aussi des photographies du tableau dans mon portefeuille et les sortais constamment pour y jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil, comme pour me rassurer. Je me suis engloutie dans cette horreur et fis tout dans la vie de tous les jours pour n’en laisser rien paraître. Je me forçais à rire, comme si de rien n’était mais souffrais, seule avec la chose. Tu ne peux imaginer les efforts que je faisais pour ne pas tomber dans le vide. J’ai ainsi passé toutes les années de mes études en compagnie de cette monstruosité. L’envoûtement était donc total. La monstruosité m’avait pris, enlacé.
Les mois et même les années ont passé. Et je vivais toujours avec la diablerie, avec cette chose. Je travaillais désormais dans une étude de commissaire-priseur. Sur mon bureau, toujours la reproduction du tableau du grand peintre. Mais je commençais à aller mieux, j’allais de moins en moins au musée et travaillais d’arrache-pied, bien sûr pour oublier. Mes cauchemars de têtes abjectes s’espaçaient. L’incroyable se produisit. Je te raconte exactement. Ecoute bien.
Un jour l’amie avec laquelle je partageais l’appartement et qui était retournée dans sa Bretagne natale me téléphona pour m’annoncer qu’elle était à Paris, pour le week-end, qu’elle désirait prendre un verre avec moi. Rendez-vous fût pris pour l’après-midi. Elle serait accompagnée de son frère avait-elle ajouté. Je me rendis donc au lieu convenu, un bar irlandais. Le frère était là….-
Anne s’arrêta de parler et prit son visage entre les mains. Elle était pâle. Jean lui tendit son verre. Elle but une nouvelle gorgée. Elle continua :
– Le frère de mon amie donc. C’était lui, c’était l’effroyable visage du tableau, même yeux gris, même laideur frappante ! Exactement lui ! La réplique vivante ! J’étais toute retournée et il le remarqua, en esquissant un vilain, un très vilain sourire. Sans rien dire, je suis partie en courant. Mon amie n’a pas compris. Lui, souriait encore, un sourire vil.
J’ai passé toute la nuit à me tordre de douleur, à hurler. J’étais sûre que j’étais devenue folle, que je n’avais jamais vu ce frère, qu’il s’agissait encore d’un cauchemar et que je n’avais pas vécu cette rencontre physique avec ce répugnant. Imagine, Julien, imagine ce que je ressentais. Comme si je n’étais pas sur terre mais dans un ailleurs maléfique, dans une sphère invisible de l’horreur en marche.
Je tentais encore d’oublier. Mais, pire qu’avant, c’était maintenant les deux visages qui me hantaient, celui du tableau, celui du frère maudit.
Il m’a appelé, oui il m’a appelé. Il avait senti mon trouble. Il m’a proposé « d’aller ensemble au cinéma ». J’ai bien sûr refusé et je lui ai raccroché au nez. Il a continué d’appeler pour me dire que nous étions faits l’un pour l’autre. Le destin, disait-il. C’est le mot qui revenait sans cesse. Je ne raccrochais plus. Nous restions sans parler, de longues minutes au téléphone. Puis il partait dans un grand éclat de rire qui me glaçait. Et il répétait toujours la même phrase avant de raccrocher : « Je viendrais vous chercher, un jour, et vous me suivrez. Nous sommes attachés. Nous sommes dans notre destin ».
C’est à cette époque que j’ai rencontré Michel. J’étais folle amoureuse de lui. Nous avons vécu ensemble. Je m’occupais du petit Geoffrey, le fils de sa sœur morte qu’il a toujours considéré comme son fils. Nous étions heureux. Une vraie famille. Michel écrivait ou corrigeait les autres.
Près de deux ans ont passé. Dans le bonheur total.
Un jour, alors que je faisais des courses dans le quartier, un homme mit sa main sur mon épaule. C’était lui. Il souriait encore. Je suis resté pétrifiée. Il m’a encore dit la même phrase, sur notre destin qu’il ne fallait pas contrarier. Il a ajouté qu’il venait me chercher. Je suis vite rentrée. Et je n’ai rien dit à Michel.
Je le regrette aujourd’hui. Quand je sortais, je savais qu’il était là, à me suivre, avec son ignoble sourire. J’étais désemparée, un tourbillon noir dans ma tête. Et je ne parlais pas.
Un soir, l’on sonna à la porte de notre appartement. Nous n’attendions personne. Michel alla ouvrir. C’était lui. Il ne disait pas un mot et se contentait de me regarder par-dessus l’épaule de Michel. L’enfant jouaitjouait. Il m’a fait un signe. Je suis sortie et je l’ai suivi. Tu as bien entendu : je l’ai suivi ! J’étais la femme la plus heureuse du monde, entourée d’amour, entre Michel et le petit Geoffrey et je l’ai suivi !
L’affreux me conduisit en Bretagne, à Lorient. Je l’ai suivi, hébétée. Impossible de résister. Il avait un petit appartement. Nous y sommes restés près de trois mois. Jusqu’à sa mort. Il est mort, d’une crise cardiaque, un matin, dans un bus.
Pendant ces trois mois, nous ne nous sommes jamais touchés. Je restais dans l’appartement, sans sortir, dans la petite chambre qu’il avait aménagée pour moi. Dans la journée il sortait, je ne sais où. Nous ne nous parlions pas. Imagine simplement le calvaire. Du silence, des remords douloureux, un vide noir, la folie aux aguets. Je n’ai vu personne. Je n’ai pas appelé Michel. Ni mon employeur. J’avais disparu. Une disparition dans le drame. Sa mort rapide a été ma délivrance.
Je suis revenue à Paris, en évitant les quartiers où je pouvais rencontrer Michel et Geoffrey. Les années ont passé et le travail m’a remis d’aplomb. Je me suis fait quelques nouveaux amis. Je t’ai rencontré. C’est tout.-
Julien ne dit rien. Il ne la prit pas dans ses bras.

Lettre à Nathalie

“Nathalie,
Il faut que je te dise. A toi, je peux le dire. Clara s’en doute.
Le corps emmailloté du père, posé raide sur le parquet vitrifié. Je n’en reviens toujours pas. Puis, une femme que je ne connaissais pas, cheveux très courts, lunettes rouges, m’a pris par le bras et m’a posé la question de savoir si j’étais bien le Paul dont elle avait tant entendu parler et, avant que je ne réponde, m’a précisé d’un ton assez ferme, surprenant, qu’il me revenait de travailler immédiatement au texte de l’oraison funèbre. En ajoutant qu’elle savait que j’étais « l’intellectuel de la famille », et que « j’avais intérêt à produire un texte inoubliable, eu égard à la foule, nombreuse et de qualité, qui sera là, demain au cimetière ».
Puis, fixant Jean qui se tenait amicalement à mes côtés, d’un regard presque méchant, elle a enlevé ses lunettes, pour les poser, non sans élégance, sur son crâne, à la manière des grands théâtraux, ceux qui savent allier les gestes aux situations. Je les épie toujours comme tu le sais, et les lunettes sucées, tendues, jetées sur une table, reprises et travaillées qui participent à la mise en scène n’ont aucun secret pour moi. Tu connais aussi les rires aux éclats lorsque j’imite ces faiseurs. Ton mari n’est pas aussi fort que moi dans cette imitation.
J’ai su, plus tard, qu’elle était l’amie d’une de mes cousines, qu’elle était sociologue et avait travaillé avec Jeanne Favret-Saada sur le bouquin que j’offre, depuis peu, à tous (sauf à toi bien sûr), le fameux « le Christianisme et ses juifs », celui qui nous rappelle que chaque décennie depuis 1634 dans un village de la Bavière catholique, Oberammergau, les habitants jouent un Mystère de la Passion du Christ, un spectacle faisant accourir toutes les confessions du monde et dans lequel transparait, d’emblée et sans fioritures, la culture anti-juive de la chrétienté historique.
La dame aux lunettes rouges aimait se trouver, pourtant non invitée, dans les familles juives séfarades, pendant la semaine de deuil.
Je me suis donc attelé à la tâche, en m’isolant dans la chambre du fond. J’ai appelé Jean, pour lui dire que la chose n’était pas facile, non pas tant pour aligner les phrases, mais pour éviter le style et l’emphase pesante, la grandiloquence qui va, naturellement, de pair avec la mort en scène, que je devais, simplement, raconter l’intelligence du père, sa gentillesse, son sens aigu de la tolérance, et inviter sur sa tombe ses philosophes préférés, rappeler son combat contre toutes les haines.
Je me souviens de sa réponse, j’ai failli le tuer. Tu aurais pu être veuve, je te l’assure. Il m’a dit d’aller contre moi, d’oublier mes tares et mes excès, me faire « terrien », oui « terrien », petit, à la mesure du simple, bref de « m’oublier ». Pas épargné l’endeuillé !
J’ai donc écrit l’hommage en le soumettant à mes frères et sœurs, à ma mère.
Mon texte, tu l’imagines, était assez bien fait, et tous dans la petite chambre en l’entendant dans la bouche de mon frère ainé, pleuraient. Je crois que j’ai trouvé les mots exacts et définitifs. Tu les as entendus au cimetière, Mon épouse était fière du silence, du respect.
Quelques phrases furent cependant remplacées, les quelques bribes de théorisation inévitable effacées, et ils tombèrent enfin d’accord, même si une discussion assez vive s’est instaurée sur le fait de savoir s’il fallait ajouter la passion du père pour les beignets au miel et celle, plus acceptable, pour les belles femmes.
Saches, même si tu ne voudras le croire, le stylo à la main, au milieu de tous, j’ai accepté, épaules rentrées, la rature, la proposition de la famille, même si, en embellissant la phrase, j’ai pu éviter le lieu commun.
Jean, encore cet idiot me rappelle souvent la scène, une prétendue installation d’une « rare hébétude », une sorte de magnifique docilité, un acquiescement aux changements de certains mots, en s’étonnant de cet assoupissement extraordinaire de mon despotisme qu’il juge exaspérant, en me félicitant de cette belle sagesse, presque grecque.
Il ne veut pas me croire lorsque je lui réponds qu’il ne s’agissait que de donner l’illusion du travail collectif, indispensable à la cohésion familiale et aux palpitations des poitrines de ceux qui ne savaient écrire et se laissaient prendre facilement par une embellie langagière.
Il faut ici que je m’arrête pour te dire : c’est en écrivant pour mon père que j’ai décidé une année de judaïsme. Mais ce n’est que plus tard que j’ai mélangé dans mes incursions la réparation.
Ma volonté, désormais sans failles, contre ce que tu sais, l’injuste dans le ventre est laïque.
Jean, cet imbécile, quand je lui ai demandé les noms et les vies, s’est, comme tu le sais, d’abord moqué de moi, m’a dit que je ne voulais que conforter et donner raison à Anna qui me nomme, gentiment, « attrape-ciel », ou « flaireur de l’Univers ». Et que lorsqu’on se met à guetter du côté des anges, on ne peut supporter l’injuste, qu’elle voyait juste Anna qui dit à tous que je fais toujours allusion aux anges que je prétends sentir dans l’air fécond, pendant des secondes d’euphorie surréalistes, qu’à chaque instant, je les remerciais, ces anges, lorsque, brutalement conscient de la vie merveilleuse qui m’a été donnée, je croyais les respirer, les toucher, en me plaçant du côté du ciel.
Bref, il m’imitait ton abruti de mari. Je n’ai pas répondu, de crainte de m’énerver alors que j’aurais pu simplement lui répondre qu’il y a loin entre les instants lumineux de traque d’une beauté, de saisine d’un moment - en réalité le propre des humains - et ce que tu sais, encore une fois laique. Le ciel et les nuages n’appartiennent pas exclusivement à la foi !
Bon, tu vois que je ne changerai jamais, des milliers de mots alors que l’objet de l’envoi ne s’y trouve pas.
Tu dois te demander pour quel motif j’écris une longue lettre alors que je loue les petits messages expéditifs.
A vrai dire, j’écris, j’écris, de peur d’aborder le sujet, l’objet si tu veux de ma lettre.
Bon, je plonge : Je voulais simplement te dire : embringué, je suis complètement embringué. Clara avait raison. Je hais tellement les chagrins que ça me gâche la vie. Il faut les tuer. Je sais que tu sais tout.
On s’appelle, on se voit, on parle. Très vite. Clara ne sait pas encore. Je vais leur en parler. On pourrait peut-être déjeuner tous ensemble, Jean, Clara, toi. Et Elisa.
Je t’embrasse.
Paul.”

Chinchon, rupture

La chambre d’hôtel est dans la lumière, totale, crue, celle qui agace les photographes obligés, dans leur logiciel de post-traitement, d’altérer les « hautes lumières ». Trop de contraste. Trop forte cette lumière, comme avant l’orage, en suspens d’extinction.
Paul est devant le petit bureau, un stylo à la main, mais il n’écrit rien.
Clara est sous la douche.
Elle vient maintenant, le corps encore mouillé, une petite serviette autour des hanches.
Lui, suce son stylo devant sa feuille, toujours blanche.
Elle s’approche de lui :
– Que t’arrives-t-il ? Tu fais l’amour sans me regarder, maintenant ? Ca fait deux nuits. Et, là tu fais la tête ? Qu’est-ce que j’ai pu faire ? Ne me dis pas que je suis resté trop longtemps avec Elisa, hier, que tu as trop attendu, je ne te croirais pas.
C’est à cet instant même que Paul se lève, et lance violemment le stylo sur l’un des murs blancs. Curieusement, il retombe sans se briser.
Puis il empoigne la chaise devant le bureau, la soulève, la jette sur le plancher.
Clara est devant lui, éberluée, complètement nue, sa serviette au sol.
Elle lui dit qu’elle ne comprend pas. Qu’avait-elle fait ?
Il ne répond toujours pas.
Elle insiste et il hurle, sans articuler. Il est question de réparation, de ras-le-bol, d’autonomie féministe, de complicités contre lui, de vol d’instants.
Elle ne comprend pas, il hurle.
On frappe à la porte. Clara retourne dans la salle de bains et entend la conversation.
C’est Juan le bel hôtelier qui s’est inquiété des cris, qui vient demander si tout va bien. Il dit à Paul qu’il a l’habitude, que les scènes de ménage dans les chambres d’hôtel sont classiques et que mieux encore, les cris de ce type font partie des doléances des clients qui se plaignent lorsque leur chambre est trop proche des chambres de ceux qui s’engueulent, mais que là, il ne comprend pas, impossible vous deux, les plus beaux amoureux du cosmos.
Paul l’interrompt et lui dit, en lui claquant la porte au nez :
– Va te faire voir ailleurs.-
Puis, il ouvre l’armoire roule ses chemises en boule, les met dans son sac.
Il souffle, comme au théâtre, regarde son sac, longtemps, se décide à le fermer et sans regarder Clara, revenue, nue et stupéfiée, sort, en claquant bien sûr la porte. Très bruyamment.
Dehors, la pluie s’est mise à tomber, très fort, des boulets noirs.
La lumière était trop belle, elle n’a pu tenir.
Ils ne se sont revus que lorsque Louis l’a invité au Balzar, avec elle, pour lui dire leur nouveau couple.

Amour, amour.

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